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Propriété privée La fin d’un mythe révolutionnaire

La reconnaissance d’un patrimoine commun de la nation, ou de l’humanité, vient bousculer les droits et les devoirs des propriétaires. © Pierre Gleizes

La montée en puissance de la notion de patrimoine commun affaiblit le droit de propriété. L’Académie d’agriculture s’est penchée sur ce phénomène, lourd de conséquences.

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« La propriété est un droit inviolable et sacré », affirmaient les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en 1789. Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? L’Académie d’agriculture de France s’est posé la question lors d’une conférence organisée à Paris, le 29 novembre 2017.

« Nous entrons dans une zone de turbulence, la propriété foncière s’amenuise », ont constaté à cette occasion les intervenants. En cause, selon Carole Zakine, juriste et manager du cabinet Agrosolution : le renforcement du droit de l’environnement, l’intérêt général justifiant désormais de « limiter les droits des propriétaires sur leurs choses ».

Le poids des générations futures

Face à la reconnaissance d’un patrimoine commun de la nation, ou de l’humanité, « nous assistons à la fin du droit de propriété au sens révolutionnaire, c’est-à-dire avec un droit exclusif sur ses choses, explique la docteur en droit de l’environnement. Le propriétaire, qui était un monarque chez lui, devient un invité sur ses propres terres au regard des générations futures ».

Sur le terrain, ce basculement culturel devient « une source inépuisable de devoirs ». Parmi les exemples marquants, la gestion de l’eau, autrefois appréhendée sous le seul angle utilitaire, se trouve aujourd’hui soumise à des documents de planification (Sdage ou Sage) permettant à la puissance publique de l’encadrer comme elle le souhaite. De même pour les sols : « Ayant été reconnus comme patrimoine commun de la nation, l’État va pouvoir regarder de près l’usage qui en est fait. On pourrait imaginer dès lors une orientation des choix d’agriculture avec l’intégration des sols dans les documents d’urbanisme. »

« Colonialisme de l’intérieur »

Carole Zakine voit dans cette « transition juridique » une « nouvelle sorte d’accaparement des terres, un colonialisme de l’intérieur ». Même si, pour l’heure, le droit hésite encore. « Nous avons définitivement quitté les rives de la révolution française et nous sommes désormais au milieu du gué », considère-t-elle. Devant nous : « Une montée en puissance de la propriété commune dont on n’a pas encore vu tous les aboutissements juridiques. » Reconnaîtra-t-on bientôt aux générations futures le titre de sujet de droit ? « Toute la question qui en découle, en particulier pour les agriculteurs, est celle de l’équilibre entre celui qui est chez lui et qui exploite, et ceux qui attendent tellement de ces exploitants ».

Qui pour prendre le relais ?

Une autre inquiétude pointe : si le droit de propriété s’amenuise au point de perdre tout intérêt, qui prendra le relais des propriétaires fonciers ? Des coopératives ? Des firmes ? D’autres États ? Assistera-t-on à la même « inéluctable dépossession foncière » qu’en Europe centrale, dont l’exemple présenté lors de ce colloque témoigne de « stratégies d’accaparement foncier au profit d’investisseurs domestiques ou étrangers » ?

« L’essentiel de l’agriculture hongroise est aujourd’hui entre les mains de grands groupes sociétaires », rapportait notamment Marie-Claude Maurel, directrice d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Le fruit d’une histoire propre au pays, mais il serait dommage d’arriver en France au même résultat, sous couvert d’intérêt général. Une conclusion qui ne satisferait ni les générations futures, ni celles présentes.

Alain Cardinaux

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